Ou en est le Québec


Rappelons que près de 3 milliards de dollars seront injectés dans l’économie afin de développer la réalisation de projets d’infrastructures dans les secteurs de l’économie jugés prioritaires (écoles, maisons des aînés, transport collectif, réseau routier, etc.).
Cette somme s’ajoute aux 11 milliards qui étaient déjà prévus pour l’année financière 2020-2021. Le gouvernement fédéral s’apprête également à dépenser une somme équivalente dans les projets d’infrastructures qu’il reste à préciser. L’objectif de ces initiatives est de contribuer massivement à la relance de l’économie, tout en répondant aux besoins bien réels.
Agilité et flexibilité, oui, mais dans les règles
Les périodes d’exception et d’urgence – comme ce que nous vivons avec la Covid-19 – appelant des mesures exceptionnelles dans de nombreux secteurs d’activités. Cependant, une même vigilance est particulièrement mise en œuvre qui concerne les projets d’infrastructures, en raison du caractère particulier exceptionnel des mesures annoncées et de l’importance des sommes investies.
Dans son allocution, le président du Conseil du Trésor du Québec, Christian Dubé, un insistant sur «l’agilité et la flexibilité» ne fera pas preuve du gouvernement pour faciliter le démarrage et la réalisation de ces projets. À première vue, cela peut paraître raisonnable en ces temps de crise. Mais il y a des risques pour l’intégrité de nos marchés publics. Cette agilité et cette flexibilité ne doivent pas ouvrir la porte aux malversations et aux abus de la partie d’entrepreneurs, dirigeants, élus ou fonctionnaires.
Le président du Conseil du Trésor, Christian Dubé, répond aux questions de l’Opposition, le 9 juin, à l’Assemblée nationale. Lors de la présentation du projet de loi, il a insisté sur l’agilité et la flexibilité. LA PRESSE CANADIENNE / Jacques Boissinot
Pourtant, c’est bien ce risque qui se profil à l’horizon avec le projet de loi 61. Le gouvernement a choisi la voie de la précipitation et de la concentration du pouvoir.
C’est 202 projets qui sont visés par l’initiative gouvernementale et qui voient le jour dans les deux prochaines années. Ou, pour les réaliser, le gouvernement entend se donner le pouvoir de modifier ou de suspendre à sa guise, par simple règlement, les règles qui sont prévues à la Loi sur les contrats des organismes publics
On s’en doute, la révision n’ira pas dans le sens de renforcer les mesures de prévention, de surveillance et de contrôle des marchés publics. C’est plutôt le contraire qui est recherché. Le projet de loi, dans sa mouture initiale avec l’article 50, entendait permettre une révision à la baisse des règlements qui s’appliquent en matière de contrats publics pour ses propres ministères – au premier chef, au ministère des Transports – ainsi que pour les contrats conclus dans les municipalités.
Malgré les nouveaux amendements déposés, il continuait de rendre possible une diminution des exigences réglementaires pour les contrats en milieu municipal. Les objectifs du projet de loi en matière de marchés publics ne sont donc pas abandonnés. Les risques manifestés bien réels.
Les règles du jeu en matière de contrats publics visent à garantir une fois une certaine équité entre les entreprises désireuses d’obtenir ces contrats, ainsi qu’une utilisation maximale des ressources ne disposent pas de la collectivité pour la réalisation de ces projets. Dès que ces règles sont enfreintes, c’est l’ensemble de la collectivité qui en paie le prix. Cette réalité nous avons été rappelée brutalement par les travaux de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (CEIC – Commission Charbonneau).
Depuis le dépôt des recommandations de la CEIC, plusieurs mesures légales et réglementaires ont été mises en place afin d’assainir les pratiques d’octroi et de gestion des contrats de nos organismes publics, tant provinciaux que municipaux. Nous n’avons aucun intérêt, collectivement, à admettre le moindre relâchement au niveau de ces pratiques.
Les marchés publics à haut risque
Les travaux académiques et institutionnels portant sur l’identification des marchés publics – notamment ceux de l’OCDE qui font référence en la matière, insistant pour dire que les marchés publics représentent assurément la zone la plus sensible et à risque face à la corruption et les autres pratiques frauduleuses.
Avec de nombreux autres chercheurs, commissions nationales et organisations, l’OCDE identifie une multitude de facteurs mettant en jeu le risque de cette intégrité. Parmi ceux-ci, certains sont davantage à craindre en ce moment: une planification insuffisante des travaux, l’urgence d’agir qui conduit à baisser la garde en matière de prévention, l’action des réseaux de proximité (le copinage et son corolaire , le favoritisme), l’absence de transparence, l’insuffisance des contrôles, l’adoption des procédures accélérées d’attribution des contrats, la faible reddition des comptes des acteurs décisionnels.
Un chantier fermé en raison de la pandémie de Covid-19, au centre-ville de Montréal. Québec entend injecter des sommes importantes dans le secteur de la construction afin de relancer l’économie, mais cela doit se faire avec prudence. Shutterstock
Dans le document «Principes de l’OCDE pour renforcer l’intégration dans les marchés publics», l’Organisation propose d’aligner les systèmes de protection de plusieurs principes qui sont classés en quatre catégories: la transparence; la bonne gestion; la prévention des comportements réprouvés, le respect des règles et la surveillance; ils doivent rendre les comptes et le contrôle.
Au-delà des principes mis de l’avant, la volonté de l’OCDE est de ne rien laisser au hasard dans le processus de passation des marchés publics. En effet, son approche vise à «occuper le terrain» pour éviter que les fonctionnaires soient exposés aux zones grises où il n’y a aucune procédure pour aider à prendre la bonne décision.
Les meilleures pratiques
Les règles et les façons de faire doivent favoriser le traitement équitable de toutes les propositions. Pendant la période de lancement de l’appel d’offres, il faut s’assurer que la concurrence est au rendez-vous et bien gérer toutes les situations de conflits d’intérêts. La diffusion de l’information doit être équitable, c’est-à-dire que l’on arrive toujours à fournir, à toutes les entreprises intéressées par un marché public, les mêmes informations. Il faut également donner un temps raisonnable à ces entreprises pour qu’elles puissent préparer leur proposition. Idéalement, un mécanisme de dénonciation des diverses formes d’irrégularités est à prévoir.
Ce ne sont que quelques exemples de ce que doit prendre en considération un gouvernement soucieux d’éthique et d’intégrité des marchés publics.
Le gouvernement devrait donc retirer, ou revoir en profondeur, son projet de loi 61. S’il entend injecter des sommes importantes dans le secteur de la construction afin de relancer l’économie, cela doit se faire avec prudence et en considération des meilleures pratiques documentées dans le domaine des contrats publics. Dans le dernier état des amendements proposés, les risques encourus majeurs.
Dans un souci de prévention des malversations, le gouvernement doit encourager l’ensemble des fonctionnaires appelés à intervenir dans l’octroi et la gestion des contrats publics à faire preuve d’une vigilance s’accumuler et mettre à leur disposition les moyens leur permettant de se faire faire entender. Ce n’est pas le moment de baisser la garde. L’intégrité des marchés publics n’est jamais un acquis définitif. La vigilance s’impose.


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