On a beaucoup glosé, et on le fait encore parfois, sur ce voyage à Berlin, en train depuis la Gare du Nord, que certains artistes de cinéma ont effectué en mars 1942, voyage qui va durer douze jours, sauf pour Danielle Darrieux (voir plus loin). Il y avait là cinq vedettes féminines (Danielle Darrieux, donc, Suzy Delair, Junie Astor et Viviane Romance) et une vedette masculine, Albert Préjean. Et la vilaine expression d’« artistes collabos » a beaucoup servi, puisque, à cette époque, tout le cinéma français était dominé par une seule compagnie allemande, la Continental. Or on avait annoncé aux Actualités qu’ils avaient été invités à Berlin, Munich et Vienne par le docteur Carl Froelich, président de la corporation du cinéma allemand. Les images de ce départ ont depuis été insérées dans une kyrielle de documentaires, dont le premier fut Le chagrin et la pitié, film de Marcel Ophüls, sorti en 1969. DONC les artistes français étaient « forcément » des collabos, thèse dévelopée par la presse française collaborationniste. Mais, d’une part, ces images ne montraient qu’une partie de la délégation, qui comprenait aussi, sans que jamais on n’en souffle mot, l’acteur René Dary, le journaliste Pierre Heuzé et le scénariste André Legrand. On n’a pas dit non plus que ces artistes français se rendaient à la première berlinoise du film Premier rendez-vous, d’Henri Decoin, alors ex-mari de Danielle Darrieux, la vedette du film, lequel devait sortir au cinéma Marmorhaus, sur le Kurfürstendamm, le 20 mars de ce mois, après être sorti à Paris le 14 août 1941. Il faut dire aussi que ce voyage d’artistes français à Berlin n’était pas le premier. Le 30 octobre 1941, les peintres Derain, Vlaminck, Van Dongen et Belmondo (le père de Bébel) avaient été invités dans la capitale allemande, et avaient visité entre autres l’atelier d’Arno Breker, le sculpteur favori d’Hitler. Ajoutons que d’autres voyages étaient prévus, dont celui de Christian-Jaque, mais le futur mari de Martine Carol et futur réalisateur de Fanfan la Tulipe refusa de s’y rendre ! Et de toutes façons, il n’y eut pas d’autre voyage ! Un mot sur Danielle Darrieux : on lui avait rappelé, très élégamment, qu’elle avait une mère et un frère de vingt-et-un ans, et laissé entendre qu’elle ne voudrait tout de même pas qu’il leur arrive du mal. Quant à son nouveau fiancé et futur mari, le diplomate Porfirio Rubirosa, il avait été arrêté comme citoyen d’un pays ennemi, la République Dominicaine, et envoyé en Allemagne dans un camp d’internement. On lui avait promis qu’elle pourrait le voir si elle acceptait l’invitation à Berlin. Elle accepta donc, réclama ce qu’on lui avait promis, put voir son fiancé et rester avec lui une semaine entière. Comme on a beaucoup dit à cette époque, les Allemands étaient « corrects » !… Après quoi, elle ne rejoignit pas ses compagnons de voyage et rentra en France par ses propres moyens. Elle s’abstint aussi de paraître à la réception donnée à Paris au retour du voyage. Ses deux compagnes Junie Astor et Viviane Romance furent aussi l’objet d’un chantage, et seule Suzy Delair, qui n’était pas anti-allemande, passa entre les gouttes. Signalons que ce voyage fut le premier et le dernier, car il avait fait mauvaise impression auprès du public.
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